mercredi 1 juin 2016

Bone Tomahawk - Des Colts et des idiots






J’ouvre les hostilités par un film indé et adepte de la théorie des genres, puisqu’il en mélange ici deux, western et horreur. Le musicien S.Craig Zhaler, après avoir signé le scénario du très recommandable The Incident (A.K.A Asylum Blackout), signe sa première mise en scène avec cette hydre à deux têtes qu’est Bone Tomahawk, à la fois western bavard et satirique et survival gore et cruel. En effet, si le développement du film emprunte la voie de la patience et de la digression, c’est pour mieux nous asséner son dénouement brutal. A ce titre, ami lecteur, gare aux spoilers car je vais (presque) tout te raconter.

L’histoire se déroule dans la dernière décennie du XIXe siècle, entre le Texas et le Nouveau Mexique, dans la petite ville de Bright Hope. Là, deux héros s’y disputent un même steak. Tout d’abord il y a la figure locale Arthur O'Dwyer (Patrick Wilson), cowboy émérite et charismatique, bien aimé de ses concitoyens, mais cloué au lit par une fracture à la jambe. Soigné par sa femme Samantha (Lili Simmons), également médecin de Bright Hope, Arthur est avant tout frustré de ne pouvoir quitter son lit et d’être dépendant des anti-douleurs. Vient ensuite, le tough guy inter fédéral John Brooder (Mathew Fox), dont la réputation de tireur au sang chaud précède une élégance et une arrogance morbides, héritées d’une période qui valorisait n’importe quel Blanc illettré tirant sur un Indien comme l’incarnation de la civilisation la plus raffinée. Et des indiens, il en a tué des tas Brooder. C’est vous dire l’idée qu’il a de lui-même ! (Et peut-être, mais c’est plus ambigu, c’est vous dire son étonnement d’être resté vieux garçon, contrairement à Arthur)

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Mais que serait un western sans son shérif ? C’est là qu’intervient Franklin Hunt (Kurt Russel), représentant vieillissant de la loi, qu’il applique tout en nuance. Résolument old school dans ses valeurs, Hunt n’est pas une brute pour autant. Homme d’action, il attache une grande importance à la prudence et à la rationalité, contrairement à une tête brûlée comme Brooder. Et c’est tant mieux, car il faut de la patience et une bonne dose de compréhension pour supporter son adjoint, Chicory (Richard Jenkins), veuf incompétent et naïf, incapable de prendre soin de lui depuis le décès de sa femme et dont l’âge avancé peine à dissimulé la psychologie d’un enfant de 8 ans. Débordant d’admiration pour les nombreuses figures de l’Ouest qu’il côtoie, Chicory semble s’émerveiller du moindre exploit ou de la moindre rumeur, comme si le biographe d’English Bob dans Impitoyable rencontrait le geek qui croise Leonard Nimoy pour la première fois au Comic Con. Sa présence auprès du shérif Hunt semble alors plus justifiée par sa bonne compagnie que par sa réelle utilité. Ce qui n’en fait pas moins un personnage clé du film.

L’intrigue débute lorsqu’un mystérieux groupe d’Indiens troglodytes et anthropophages kidnappent dans sa cellule le bandit et pilleur de tombes Purvis  (David Arquette), emportant avec eux l’un des adjoints du shérif Hunt, le jeune Nick (Evan Jonigkeit), et la femme de Athur O’Dwyer, Samantha. Hunt et Chicory vont alors se lancer à la rescousse des trois disparus, accompagnés d’un Brooder soucieux de sa réputation et d’un  Athur O’Dwyer boiteux et mort d’inquiétude pour sa femme.

Or cette chevauchée n’a rien de fantastique tant elle s’amuse à prendre ses distances avec le patron héroïque du genre. Tout d’abord l’ennui. Celui, que provoque un long voyage à cheval dans des paysages désertiques, mais aussi celui provoqué par des heures de palabres inutiles, coincé entre les inepties d’un Chicory toujours en décalage avec la réalité et les leçons de morale du vantard John Brooder. Puis vient le ralentissement provoqué par l’handicapante fracture d’Athur. Celui qui devait être la référence en termes d’action et d’éthique devient un poids mort pour le groupe. Poids dont Brooder ne cesse de rappeler la nécessité de se délester et ce, non sans arrière pensée. En effet, ce dernier, qui méprise pourtant les hommes mariés, exprime une obsession ambiguë quant à l’idée de secourir Samantha avant son mari.

Troisième calamité, la violence. Mais pas celle d’une confrontation franche et égalitaire entre hommes armés. Plutôt celle d’une exécution raciste, lorsque Brooder abat froidement un Mexicain qu’il désigne sans preuve comme un voleur de chevaux. Enfin, les confessions embarrassantes, lorsque, après avoir laissé Arthur derrière eux, Hunt et Chicory écoutent stupéfaits Brooder leur expliquer, non sans recours à une habile litote, que les indiens qu’il a tués étaient majoritairement composés de femmes et d’enfants. Cela dit, ils n’en étaient pas moins dangereux selon leur bourreau, car tous disposés naturellement par le bellicisme de leur race à saisir une lance au moindre dos tourné.


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Le verni héroïque du western alors se craquelle. Les fissures deviennent des gouffres dont le vide appelle une autre esthétique pour consolider la narration. C’est là qu’intervient l’ironie du film d’horreur, qui va ajouter à la déconstruction du mythe du cowboy, la déconstruction des corps, comme la formalisation par le gore d’un travail de sape sous forme de tarte à la crème sanglante.

En effet, le cinéma d’horreur moderne auquel se réfère Zhaler procède comme une mauvaise blague. A ce titre, nous en connaissons bien le fonctionnement. Une adolescente veut que son bal de promo soit une question de vie ou de mort ? Pas de problèmes. Collons-lui un tueur en série dans les pattes, elle aura tout le loisir de réévaluer ses priorités. C’est là toute la saveur du récit horrifique qui, s’il est tout à fait apte à bouleverser les habitudes de nos vies, l’est tout autant pour bousculer celles du cinéma et de ses genres les plus mythiques. Brooder veut des indiens sauvages et dangereux ? D’accord. Mais attention quand on fait un vÅ“u au génie du cinéma ! Car la tribu indienne antagoniste de Bone Tomahawk n’est pas de celle qu’on endort avec un traité de paix et du whisky.

C’est donc par la question de la prédation que le postulat horrifique du film va renouveler l’évocation du western, en déplaçant le rôle du cowboy dans la chaîne alimentaire du cinéma. Du statut d’hommes d’action, nos héros vont régresser au statut de proies et apprendre leur leçon à coup de flèches et de coutelas.

Véritables hommes des cavernes, les indiens troglodytes de Bone Tomahawk ont vue Green Inferno d’Eli Roth et se sont bien marrés. Assurant leur domination sur leurs ennemis par le scalp et la castration des hommes et par le viol et la mutilation des femmes, ces derniers vont s’acharner sur Hunt et sa bande, et faire du shérif et de son adjoint Chicory leurs prisonniers. Enfermés dans une caverne des horreurs, nos deux comparses vont y retrouver Samantha, dépitée de constater un si piètre secours : « Voilà pourquoi la vie à la frontière est si dure. Non pas à cause des indiens ou des éléments. Mais bien à cause des idiots. » Les masques sont tombés et la sentence aussi. Les sept mercenaires ont laissé place aux quatre idiots de Bone Tomahawk, pensant qu’il suffisait de suivre les pas laissés par les légendes de l’Ouest pour délivrer leurs concitoyens d’un petit groupe d’indiens, dans un pays qu’ils semblent ne toujours pas connaître. 




Leur survie ne tiendra qu’à l’intervention in extremis du boiteux Arthur, faisant irruption dans la grotte arme à la main, puis au sacrifice du shérif Hunt qui, gravement blessé, consent à couvrir leurs arrières un fusil calé sous l’épaule. Sa posture de combat est alors préparée soigneusement par ses compagnons d’infortune, comme on prépare un héros à la postérité. Nos survivants quittent alors la grotte. C’est alors qu’ils marchent péniblement à l’air libre, qu’un coup de feu retenti. Chicory se retourne, des étoiles dans les yeux, imaginant le combat héroïque de son ami. A ce titre, le choix d’avoir fait de Chicory un personnage âgé est plus que pertinent, car quel coup de vieux il a pris ce regard d’enfant !

En effet, si le western, à travers les Å“uvres de Ford, Peckinpah et Eastwood, s’est efforcé de filmer le vieillissement de ses héros, Bone Tomahawk a su saisir par cette scène le vieillissement du regard qu’on leur porte. Comment faire un western aujourd’hui, alors que cinéastes et spectateurs savent que derrière un duel mythique, il y a avant tout deux Irlandais ivres, dont le motif de la discorde n’a pas survécu à la gueule de bois du lendemain ? Comment faire de la conquête de l’Ouest un imaginaire à l’ère de wikipedia ? Et surtout comment réinvestir un genre déjà déconstruit par ses meilleurs auteurs (n’oubliez pas qui a tué Liberty Valance) ? En voulant mythifier la civilisation affrontant la sauvagerie, le western s’est détourné de son chemin et a souvent mythifier (consciemment ou inconsciemment, c’est tout le débat) la sauvagerie de la civilisation. Alors pourquoi le cowboy fascine-t-il toujours autant ? Peut-être, pour reprendre les mots de Samantha, parce qu’il continue d’être aimé par des idiots. 

1 commentaire:

  1. Un très bon article, fort bien écrit, qui fait la lumière (et le sens) sur une très bonne série B dont le propos et l'exécution mouchent pas mal d'auteurs reconnus.

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